24 Novembre 2017

[DOSSIER] Débris spatiaux : où en est-on ?

A l’occasion de la Semaine européenne de réduction des déchets organisée par l’ADEME, les experts du CNES s'expriment sur la question des débris dans l’espace. Etat des lieux avec Christophe Bonnal, de la direction des Lanceurs et président des commissions débris spatiaux de l’IAA et de l’IAC, et Pierre Omaly, expert débris et étude LOS.

 

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Les pays se partagent actuellement les différentes orbites autour de la Terre. On y trouve des satellites en activités…. Mais aussi de nombreux débris de la conquête spatiale Crédits : NASA

Des débris (un peu) spatiaux

Mais de quoi parle-t-on ? Un débris spatial – ou débris orbital – est un objet artificiel (au sens « créé par l’homme ») en orbite qui n’est pas fonctionnel.

Ainsi, on retrouve dans cette catégorie des objets entiers (satellites désactivés, étages supérieurs, capots, sangles, …) qui représentent la moitié des débris orbitaux connus. L’autre moitié est composée de fragments de toutes tailles dû à l’explosion d’étages de lanceurs ou de satellites.

Ces objets se situent majoritairement dans 2 zones :

  • les orbites basses (entre 700 et 1 000 km d’altitude) très utiles pour l’observation de la Terre, l’étude de l’environnement et la météorologie.
  • l’orbite géostationnaire (à 36 000 km d’altitude), très utilisée pour les télécommunications, la météorologie, la défense

Depuis le lancement de Spoutnik 1 en 1957, le nombre d’objets en orbite ne fait que progresser, il devient donc primordial de se poser les bonnes questions pour envisager l’avenir.

En effet, la présence de ces débris pose 2 problèmes majeurs :

  • Lors des collisions en orbite, même un petit débris peut causer de gros dégâts. La taille du débris n’est pas proportionnelle à la taille des dégâts causés. Ainsi, un objet de 1 cm de diamètre aura la même énergie qu’une berline lancée à 130km/h. Malheureusement, il n’existe pas de moyen de s’en protéger, on ne peut qu’en subir l’impact et les satellites en orbite sont aussi concernés. Il n’est pas toujours possible de les faire manœuvrer pour éviter l’objet si celui-ci est trop petit pour être catalogué. Et les astronautes sont aussi visés…

A ce jour, on dénombre en orbite

  • 30 000 objets de 10 cm ou + dont 1 400 satellites actifs
  • 750 000 objets de 1cm ou +
  • 135 millions d’objets de 1 mm ou +

En 2015, l’ISS a manœuvré 5 fois pour éviter des collisions avec des débris spatiaux.

Christophe Bonnal, direction des Lanceurs du CNES et président des commissions débris spatiaux de l’IAA et de l’IAC

Mais que fait la police de l'espace ?

Une fois ce constat posé, quelle est la marge de manœuvre de l’homme ?
Le recours aux lois semble s’imposer naturellement, afin de réguler l’activité spatiale de demain.

Et il existe effectivement 5 règles à l’international :

1)    L’interdiction de générer volontairement des débris dans l’espace (capots de protection de télescope par exemple) et de détruire volontairement des satellites dans l’espace

2)    La mise en œuvre de tous les moyens possibles pour éviter l’explosion en orbite. En fin de mission, il faut mettre l’objet dans un état inerte en dissipant toute son énergie, ce qui induit d’avoir prévu cette opération lors de sa conception

3)    L’interdiction de rester plus de 25 ans en orbite basse ou de rester sur l’orbite géostationnaire après la fin de mission (ces 2 orbites étant les plus concernées par la prolifération de débris spatiaux).

4)    La mise en œuvre de tous les moyens possibles pour éviter les collisions : éviter l’évitable

5)    La protection des populations au sol. Dans les cas où l’on ne peut éviter un retour au sol des débris, privilégier la désorbitation contrôlée dans une zone non peuplée

Ces règles ont été proposées par la NASA en 1995, reprises par le Japon en 1997 puis par le CNES pour la France en 1998.


Plus récemment et de manière plus concertée, les « IADC guidelines » ont été adoptées en 2002 à l’échelle internationale et transmises à l’ONU (via le COPUOS) pour adoption d’une résolution en 2007 qui ne fait toutefois pas effet de loi.

Ainsi, à l’initiative d’agences spatiales (dont le CNES), d’opérateurs et de constructeurs de satellites, un groupe ISO sur les débris spatiaux a vu le jour. La norme ISO 24113 a été adoptée en 2011 à l’international et est actuellement en cours de révision. Malheureusement, cette norme n’est pas encore appliquée assez largement.

La France est le seul pays à avoir une loi qui traite des débris spatiaux : il s’agit de la Loi sur les Opérations Spatiales promulguée en 2010.

Gestion des collisions : mieux vaut prévenir que guérir

Il existe une action déjà bien en place au CNES ; c’est le cœur de métier du Centre Orbitographie Opérationnelle situé à Toulouse qui agit de façon préventive sur les éléments catalogués et manœuvrables afin d’éviter les collisions. (voir encadré)

Et demain : Space Tug, bras robotique, fusée sonde etc…

En parallèle de ces avancées juridiques et de l’action opérationnelle du CNES, il existe aussi des initiatives technologiques.

1) Le blindage des satellites. L’idée est simple : il s’agirait de recouvrir les satellites de plusieurs couches supplémentaires destinées à fragmenter les débris et protéger les parois sensibles. Cette solution ne fonctionne que pour des débris de moins de 1 cm. Par ailleurs, les blindages sont lourds, chers à développer et souvent difficiles à positionner sur les satellites.
Elle n’est donc pas envisagée pour l’ensemble des objets spatiaux, mais uniquement utilisée pour les véhicules habités comme l’ISS ou les ravitailleurs de la station.

2) Le retrait actif des débris. S’il semble pour le moment difficile d’agir en amont du lancement des objets spatiaux, un palliatif pourrait être de retirer les débris les plus dangereux déjà en orbite. Pour cela, de nombreuses solutions techniques sont à l’étude :

  • le sans contact : grâce au tir au laser, à une laisse électrostatique avec un canon à électrons
  • l’utilisation de techniques issues de la pêche : harpons, filets…
  • la piste d’un chasseur équipé d’un bras robotique pour capturer les débris et les faire redescendre sur Terre Cette action devrait voir le jour prochainement, avec l’arrivée des Space Tugs, appelés aussi remorqueurs de l’espace.
  • l’augmentation de la surface des objets spatiaux pour les faire descendre plus vite. Soit à la conception (comme ce fut le cas pour Microscope par exemple), soit directement en orbite grâce à un chasseur qui équipe les satellites de « parachutes » pour permettre une descente plus rapide.

3) L’évitement de collision entre gros débris. Afin d’empêcher les collisions entre 2 débris non manœuvrables, une fusée sonde pourrait être lancée depuis le sol pour freiner les objets, donc modifier leur trajectoire à l’aide d’un nuage de limaille de cuivre (just in time collision avoidance). Cette piste depuis le sol serait moins coûteuse qu’une solution en orbite et ne serait déployée qu’en cas de besoin. Le CNES s’intéresse au sujet, en collaboration avec les Etats-Unis.

Le satellite géostationnaire Telkom 1, point blanc au milieu de la vidéo, semble fixe dans le champs des étoiles qui défilent derrière lui (traits blancs de droite à gauche). A 8 secondes, une fragmentation importante relâchant un nuage de débris.

Quelques repères

  • A 200 km d’altitude, un débris met 3 mois à retomber sur Terre
  • A 600 km d’altitude, il met 10 ans à retomber sur Terre
  • A 1 000 km, cela lui prend 1 000 ans

 4) Le recyclage en orbite. Dans un avenir plus lointain et à titre prospectif à ce jour, on peut envisager que les Space Tugs pourraient découper la tôle des débris en orbite pour blinder d’autres objets encore en service par exemple.

Innovation VS pollution ?

Toutes ces initiatives légales et techniques montrent que les débris sont au cœur des préoccupations de la communauté spatiale. Cela ne l’empêche pas de s’interroger sur l’avenir.

La recrudescence de lancements de petits satellites (cubesats) témoigne d’un réel marché (500 nouveaux cubesats par an) et de la démocratisation du domaine spatial. Ces satellites miniatures sont certes très efficaces mais en général dépourvus de propulsion. Ils ne peuvent donc pas éviter les collisions en orbite ni se désorbiter en fin de mission. Ainsi, leur nombre important vient grossir les rangs des futurs débris spatiaux.

De plus, le recours annoncé aux méga-constellations de satellites en orbite basse ne va pas dans le sens de la diminution de la population d’objets spatiaux. La plupart de ces demandes émanent de structures qui n’ont pas l’habitude de lancer des satellites ou qui annoncent la réalisation de satellites à bas coût. Il y a donc fort à parier que ces projets ne seront pas forcément conçus dans le respect de toutes les contraintes énoncées précédemment. Ainsi la priorité de l’IADC à l’heure actuelle est de proposer une règlementation spécifique aux méga-constellations de satellites dans l’optique d’éduquer ces nouveaux acteurs et non pas de nuire aux activités spatiales commerciales.

Le rôle du CNES

Le CNES participe à la majeure partie des travaux et réflexions en cours au niveau international sur la gestion des débris spatiaux.

De manière plus concrète, les activités conduites jusqu’à présent par le CNES ont permis :

  • de développer les outils de base permettant la prévision de collision en orbite, le suivi des rentrées atmosphériques et le calcul du risque mais aussi des algorithmes de traitement d’images pour l’observation optique des objets en orbite géostationnaire.
  • de mettre au point des modèles d’évolution de la population, afin de mieux comprendre les impacts des règles ou leur non-respect
  • de développer des solutions  technologiques permettant aux objets spatiaux de respecter les contraintes dictées par la LOS ?
  • d'opérer le service CAESAR (Conjunction Analysis and Evaluation Service, Alerts and Recommendations) au Centre Orbitographie Opérationnelle au CNES à Toulouse pour gérer de manière opérationnelle les risques de collision en orbite sur les satellites qu’il surveille.
  • de suivre les rentrées atmosphériques à risque au COO et de fournir aux autorités les prédictions de trajectoire de rentrées des débris.

Par ailleurs, Le CNES organise régulièrement des ateliers de travail sur la question des débris spatiaux.


COO : mieux vaut prévenir que guérir

En 2016, le Centre Orbitographie Opérationnelle du CNES a traité plus de 2 millions d’alertes collision pour aboutir à 17 manœuvres de satellites français et  européens.
Un des objectifs de ce service est d'éviter les collisions en orbite qui sont évitables. Le service CAESAR du COO analyse les informations disponibles sur les rapprochements en orbite, évalue le niveau de risque, alerte le centre de contrôle quand le niveau de risque dépasse le seuil défini et valide les actions d'évitement.
A ses débuts en 2007, ce service ne concernait que les satellites contrôlés par le CNES. Il est maintenant ouvert aux clients extérieurs et fait partie du projet EU-SST (EUropean Space Surveillance and Tracking) financé par la commission Européenne.
18 personnes travaillent dans ce service du CNES à Toulouse.